• Evalueeeez-moi ! Mais pas tout de suiiiite, pas trop viiiiite....

    Vers l'évaluation des élèves "à risque" dès 5 ans, Le Monde, 13 octobre 2011

    Un article du monde sur l'évaluation des enfants dès 5 ans... suivi d'un rappel sur l'invention de cette idée fumeuse... L'ère de l'évaluationnisme de 5 à 99 ans ne prendra t'elle jamais donc fin ? Pas avec le PS en tout cas....

    1) C'est très bien que Frackowiak s'émeuve aujourd'hui de l'évaluationnite généralisée. Mais ce grand manitou des questions d'éducation au Parti socialiste semble avoir la mémoire courte. Il a dû oublier que l'introduction de l'évaluation des compétences à l'école primaire a été mise en oeuvre par un décret d'application de la loi-Jospin (6 septembre 1991). Il s'agissait d'une vieille revendication de la gauche pédagogique : remplacer les notes par l'évaluation et les savoirs par les compétences. Car comme il est bien connu, les savoirs et les notes, c'est très élitiste et antidémocratique. Frackowiak a dû oublier aussi que le livret ad hoc (jusque là les écoles restaient plus ou moins libres de leur propre évaluation) a été rendu obligatoire par un texte de cadrage paru au BO du 13 avril 1995 (Bayrou est alors ministre de l'éducation mais il a tout cédé aux pédagogistes, qui font la pluie et le beau temps rue de Grenelle). Nouvelle impulsion à l'évaluation dans le primaire avec les programmes Lang de 2002, lequel Lang lui aussi frappé d'amnésie, tonne aujourd'hui contre ces petites cases à cocher.

    La droite n'est pas en reste : c'est la loi Fillon de 2005 qui étend au secondaire (collège puis lycée) les livrets de compétences imposés à l'école primaire par la gauche socialiste. Cela montre une fois de plus, si besoin était, qu'il y a une continuité absolue de la politique scolaire entre la gauche et la droite, qui ont toutes deux embrassées les dogmes du néolibéralisme américain, celui qui repose sur la théorie du capital humain. C'est dans ce cadre-là qu'il faut comprendre l'obsession pour l'évaluation des compétences.

    Sur le sujet je signale la réédition récente du livre de Milner "La politique des choses" qui est consacré à l'évaluation :
    Présentation éditeur :

    Le nouveau livre du philosophe Jean-Claude Milner, /La Politique des choses/ (premier des deux volumes d’un /Court Traité politique/)texte lumineux et percutant qui propose à son lecteur *une analyse critique du règne nouveau de l’évaluation. *

    C’est l’École, explique-t-il, – avec la bénédiction « des sociologues populistes et des gestionnaires », avec ses instituteurs et ses professeurs qui a servi de champ d’expérimentation à l’entreprise de chosification de l’individu.

    « En France, écrit-il en effet, l'École a été pionnière ; le pédagogisme et les sciences de l'éducation ayant fonctionné comme des précurseurs de l'évaluation. Ils annonçaient ce qui s'est aujourd'hui étendu à la société entière. Leurs experts ont fourni aux décideurs les recettes propres à domestiquer ceux qui savent : évaluer ces derniers, continuellement, sans relâche, non pas en fonction de ce qu'ils savent (cela, c'est du ressort des très méprisés concours et examens), mais en fonction de ce que nul ne sait et ne peut savoir, et notamment pas les décideurs. Comme autrefois dans l'agriculture soviétique, les objectifs sont si obscurs et si confus que personne ne pourra jamais les définir, spécialement pas ceux qui les fixent. L'important n'est d'ailleurs pas qu'ils soient définissables, mais qu'ils soient impératifs, contradictoires et, de préférence, humiliants. Modernisation, non sans conservation du patrimoine culturel (ou l'inverse) ; égalité des chances, non sans promotion des meilleurs (ou l'inverse) ; lieu de vie, non sans apprentissage de la discipline (ou l'inverse) ; recentrage sur les fondamentaux, non sans attention aux tendances de la mode (ou l'inverse), les expressions varient et se retournent en doigt de gant, mais il n'y a jamais qu'un seul objectif : établir que l'évalué soit insuffisant. Comme les critères unissent à la fois A et non-A, l'évalué, s'il suffit à A, sera insuffisant à non-A, (ou l'inverse). À l'issue du processus s'installe la proclamation d'insuffisance généralisée des évalués, d'où suit leur subordination permanente et, par-dessus tout, injuste. Une fois que le régime de subordination injuste a été établi pour les professeurs, les conséquences sont étendues à l'ensemble de l'institution d'enseignement. La brutalité des rapports y est devenue la règle, entre élèves, entre élèves et professeurs, entre professeurs et parents. Ils sont pris dans une mécanique de subordination réciproque. Ou pour parler plus nettement : de domestication. »

     

    2) En réponse :

    P. a raison de chercher et de rappeler les racines de ce qu'il appelle "l'évaluationnite généralisée".
    Universitaire il rappelle la responsabilité des pédagogistes de la gauche dite moderne (voire américaine) portée idéologiquement par le sgen-cfdt (c'est mon opinion).
    Engagé, il relève la porosité des positions gauche/droite sur la question.
    Pour en rajouter un peu :
    - les racines de ce bazar plongent depuis bien plus longtemps ds le terreau fertile du libéralisme et sont un instrument essentiel de ce que les managers du privé -puis du secteur public- appellent la boîte à outils manageuriale (*).
    - dans la Fonction Publique le vecteur essentiel de cette évaluation a consisté en la mise en place des entretiens professionnels portant en eux-même les notions d'objectifs individuels (**), de mise en concurrence des personnels entre eux, de la négation du travail d'équipe, des primes au mérite, de l'individualisation des revenus.... J'en passe et des pires.
    Pour rejoindre P. j'en viens à ceci : le décret instituant les entretiens professionnels a été signé par la gauche en 2002 et a été appliqué depuis (avec un zèle exemplaire) par la droite au pouvoir depuis cette époque via les DRH débarqués dans les établissements.
    Pour finir j'ai attendu qq jours des réactions à la demande de notre collègue d'une réunion de la CNU. J'aurai bien aimé pouvoir dire "pas tous en même temps !".
    Après tout s'il n'y a pas d'écho c'est qu'il doit y avoir des raisons. J'aurai aimé les connaître et surtout qu'on en débatte.

    (*) La déshumanisation du travail commence par le langage
    (**) On a bien essayé de nous vendre les objectifs collectifs ou par services mais c'est encore de la concurrence.


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